Le programme Radar lancé par la mairie de Lisbonne, au Portugal, recense les besoins des personnes âgées pour lutter contre l’isolement
Un article publié dans La Croix, signé Marie Line Darcy, correspondante à Lisbonne (Portugal), le 09/01/2020
De gauche à droite, Sara, Alice et Diogo, enquêteurs du Radar, sillonnent le quartier haut de Lisbonne, à la rencontre des seniors. Marie-Line Darcy
Lisbonne est une ville océanique et le crachin qui tombe ce jour justifie à lui seul les vestes rouges siglées « Radar » qu’ont revêtues Alice, Diogo et Sara. Ils débutent le quadrillage du Bairro Alto, le quartier haut, dans le cœur historique de la capitale où ils rencontrent et identifient les personnes de plus de 65 ans vivant seules ou avec des personnes du même âge.
Les trois jeunes gens ont été recrutés par la Santa Casa da Misericordia, une institution caritative catholique et laïque pour le projet Radar entamé début 2019. L’institution a conçu et mis en forme le programme inscrit dans un projet plus global de la municipalité, intitulé « Lisbonne, cité de tous les âges », en partenariat avec les services de santé, les services sociaux et la police.
« Cerner la population âgée »
La ville veut cerner la population âgée, définir ses besoins et lutter contre son isolement. Le dernier recensement en 2011 avait identifié 132 000 personnes de plus de 65 ans. Radar s’est fixé un objectif : rencontrer et interroger 30 000 personnes. La méthode utilisée est classique : le porte-à-porte.
Alice écrase le bouton de sonnette et lance à voix haute : « Nous sommes l’équipe Radar, on est de la Misericordia. On fait une enquête sur les personnes de plus de 65 ans, est-ce votre cas ? » Du 4e étage, une silhouette fait une apparition furtive, mais se garde d’ouvrir.
« Les personnes âgées se méfient. Les deux policiers qui nous accompagnent sont là pour rassurer, mais cela ne suffit pas toujours », dit Alice sans perdre son flegme. Les refus assez fréquents n’entament pas l’enthousiasme de l’équipe qui suit un protocole rigoureux et systématique.
Les derniers gardiens d’une vie de quartier en voie de disparition
Nouveau coup de sonnette, même discours de présentation par l’interphone. Cette fois la porte s’ouvre. Diogo est chargé du premier contact. La dame sur le pas de sa porte accepte de décliner son identité mais refuse de communiquer son numéro de téléphone. « Il y a beaucoup de résistance. Mais les coordonnées sont essentielles à la constitution de la base de données parce que les services sociaux devront pouvoir communiquer avec ces personnes dans le futur. C’est un questionnaire volontaire, personne n’est obligé de répondre », explique le jeune enquêteur.
Le Bairro Alto, quartier animé la nuit, prend des allures fantomatiques de jour, sous la pluie fine. Beaucoup d’appartements sont loués aux touristes ou mis en vente. Les habitants les plus âgés sont les derniers gardiens d’une vie de quartier en voie de disparition accélérée.
Un quartier que Dona Ana, 80 ans, ne veut pas quitter. Elle y a toujours vécu et est propriétaire de son appartement. Une vie modeste qu’elle raconte entre sourires et émotions. Rencontrée dans la rue alors qu’elle rentre chez elle, elle se prête gentiment au jeu des questions, ravie de l’attention qu’on lui porte. « Je n’ai besoin de rien. Mais qui sait, un jour je devrais peut-être faire appel à vous », dit-elle à l’équipe Radar. Elle vit avec 500 € de retraite par mois et s’estime privilégiée car elle est propriétaire de son appartement. « Le quartier se vide », déplore-t-elle dans un sourire qui met fin à la conversation.
Dona Ana, 80 ans, se prête au jeu des questions, ravie de l’attention qu’on lui porte. / Marie-Line Darcy
Des « tables communautaires »
Les trois jeunes de l’équipe s’arrêtent aussi dans une épicerie. Les commerçants du quartier qui le souhaitent arborent une affichette « Radar » sur leur devanture. Ils sont associés au projet et veillent sur les personnes âgées du quartier. Un rôle social traditionnel à nouveau valorisé.
À partir de cette année, le programme Radar entre dans une nouvelle phase. « Il faut le reconnaître, 90 % de notre échantillon de personnes répondant aux critères du Radar ne sont pas connues des services sociaux. L’espérance de vie a augmenté, les conditions de vie ont changé. Mais les réponses sociales aux besoins de ces catégories-là, pensées au XXe siècle, ne sont plus adaptées. Il faut réinventer les réponses », estime Maria Luz Cabral, responsable du programme à la Santa Casa da Misericordia.
Ainsi, des « tables communautaires », sorte de services spécialisés pour les seniors, vont être créées. Leur future structure encore mystérieuse est annoncée comme une mini-révolution.